20 ans d’Activ Radio : En 2003, Saint-Romain-en-Jarez détruit par une explosion

15 mars 2023 à 7h30 par Nicolas Georgeault

Le village après l'explosion à Saint-Romain-en-Jarez en 2003
Le village après l'explosion à Saint-Romain-en-Jarez en 2003
Crédit : ENERIS

Le 2 octobre 2003, une exploitation arboricole prend feu à Saint-Romain-en-Jarez. Le mélange de l’eau et des trois à cinq tonnes d’ammonitrates présentes dans le hangar provoquent une explosion extrêmement violente. 26 personnes dont 18 pompiers sont blessés.

Un incendie avant l’explosion

L’entrepôt n’est plus qu’une ruine soufflée par l’explosion ce 2 octobre 2003. A l’origine, un hangar en proie aux flammes à Saint-Romain-En-Jarez. Les pompiers de différentes casernes sont alors dépêchés sur place. « On s’est vite rendu compte que ce feu était important vu le panache qui se dégageait » se remémore Thomas Vanet, pompier professionnel à Rive-de-Gier à l’époque.  

Les soldats du feu s’attellent à la tâche pour éteindre l’incendie mais « rapidement, on s’est rendu compte que l’on manquait d’eau. » Thomas Vanet est envoyé au premier étage du bâtiment avec l’un de ses collègues. « On est rentré par la fenêtre dans la fumée. Le foyer en bas était rougeoyant, on a arrosé et ça a explosé. »

L’explosion détruit la commune

« J’ai vu un grand champignon noir en descendant du col de la Gachet, c’était très impressionnant » se souvient Anne-Marie Fleury, l’épouse du premier adjoint de l’époque, Claude Fleury. « J’arrivais avec mon véhicule professionnel, j’étais à deux mètres de l’explosion. J’ai senti ma camionnette se soulever, se pencher sur un côté » complète Marc, un habitant encore marqué par l’évènement vingt ans après.

Au cœur du hangar Thomas Vanet est « soulevé, projeté en arrière. Tout le bâtiment s’est effondré, on a pris le toit sur nous. J’ai eu un éclat dans la jambe et des brûlures. Je me rappelle être resté coincé alors qu’on était enseveli. Ça commence à brûler sous les jambes. Je me dis "un an de service tu vas déjà mourir" » se souvient le pompier.

Heureusement pour eux, ils s’en sortent : « avec mon collègue on a réussi à pousser une espèce de plaque, on était dans le noir... Il a vu le jour et il m’a aidé à me dégager. » Alors qu’ils pensent que « les collègues vont être super contents de nous trouver » il se rend compte qu’ils « sont tous grabataires. L’un sous des pans de murs écrasés, un autre agonisant. On a dû les aider car il n’y avait plus personnes à ce moment-là. »

La commune est alors un véritable « champ de bataille » complètement soufflée par l’explosion : « des gravats de partout, des pompiers qui couraient partout. Je suis arrivé jusqu’à chez moi, tout était cassé, les fenêtres, les cloisons, les portes... » se rappelle Marc, un habitant. « Des débris partout, toutes les vitres des maisons et des voitures explosées, des morceaux de moellons.... Il y a même un IPN (une poutre en métal) qui a atterri au niveau des maisons en face, à 200 mètres à vol d’oiseau. » complète David (son nom a été modifié à sa demande) un autre Saint-Romanaires.

Un IPN lors de l'explosion à Saint-Romain-en-Jarez en 2003
Un IPN lors de l'explosion à Saint-Romain-en-Jarez en 2003
Crédit : Ineris

Des blessés graves mais pas de mort

Selon l'expertise plusieurs substances mélangées à l’ammonitrate qui est responsable de ce paysage de désolation. Trois à cinq tonnes de ce pesticide sont stockés dans le hangar de l’arboriculteur. L’exploitant est le seul au courant et l’ammonitrate a un pouvoir explosif.

La version officielle reste malgré tout remise en cause par certains : « ce qu’il se dit c’est qu’il pouvait stocker des explosifs de trente, peut-être quarante ans qui servaient pour faire sauter les arrangements » glisse David. Le bilan est lui sans discussion : vingt-six blessés dont dix-huit sapeurs-pompiers et parmi ceux-là neuf sont gravement touchés. Malgré ce lourd bilan, tous nos interlocuteurs évoquent de « la chance dans le malheur ». Celle de n’avoir eu aucun décès et même aucune personne grièvement blessée dans la population.

La solidarité s’organise

Des habitations, il ne reste plus que les murs à Saint-Romain-en-Jarez ce soir du 2 octobre. Alors très rapidement, le village s’organise. « La plupart des habitants étaient dans les rues ce soir-là pour nettoyer, ramasser, aider... » raconte David.

La municipalité aussi s’organise, comme le raconte Anne-Marie Fleury : « le téléphone n’arrêtait pas de sonner. On cherchait Claude (Fleury, son mari) parce qu’on savait que c’était lui qui pouvait donner tous les renseignements. » Son mari qui est alors le premier adjoint occupe le rôle du maire en raison des soucis de santé de ce dernier. « Après ce coup de téléphone (de sa femme) je suis monté tout de suite sur Saint-Romain. Puis on a mis en place à la mairie une cellule de crise pour parer aux choses les plus urgentes et s’occuper des gens qui étaient très gravement sinistrés » complète Claude Fleury.  

Ils s’assurent que chacun ait un toit : « ça a été assez vite parce que tout le monde avait de la famille ou des amis » avant de louer « des Algeco pour continuer l’école privée » complètement « ravagée » par l’explosion. Dans le même temps, les gendarmes sécurisent le village pendant plusieurs jours « pour empêcher les gens de venir par curiosité. »

Les communes environnantes apportent également leur pièce à l’édifice « en particulier le zoo de Saint-Martin qui avait reçu des plaques pour ses abris. On a pu découper ces plaques pour que les gens ferment les portes et les fenêtres parce que l’hiver approchait. On a eu aussi des tas de bâches qui nous ont été procurées pour couvrir les bâtiments. »

Dès le samedi, « les cantonniers des communes environnantes sont venus aider à nettoyer tout le village. Les assurances nous ont bien indemnisées, on a pu bien réparer les bâtiments communaux. » Mais ce n’est que le début des travaux, qui prennent au total plusieurs mois voire des années. « On a fait du camping. A chaque qu’on rénovait une pièce, on se déplaçait dans une autre. (Pour tout rénover) ça a pris un an, un an et demi dans la partie habitation. Après la dépendance ça a duré sur plusieurs années » raconte le Saint-Romanaires Marc.

Du côté de la municipalité, les prérogatives de la mairie passe sous la coupe de la préfecture durant une quinzaine de jours. Puis de nouvelles élections sont organisées en décembre 2003, le maire de l’époque ne pouvant plus honorer ses fonctions en raison d’une santé dégradée. Claude Fleury devient le nouveau maire et va consacrer, jusqu’en 2008, 80% de son mandat, selon ses estimations, à la reconstruction de la commune.

La commune de Saint-Romain-En-Jarez est totalement reconstruite en 2023, 20 ans après.
La commune de Saint-Romain-En-Jarez est totalement reconstruite en 2023, 20 ans après.
Crédit : Activ Radio

Une explosion dont personne n’est responsable selon la justice

Puis vient le temps de définir les responsabilités. Dès 2003, une enquête est ouverte au nom de la commune de Saint-Romain-en-Jarez. Les pompiers blessés et les riverains sont parties civiles. Trois ans plus tard, le tribunal civil statue sur un non-lieu. Les pompiers se pourvoient en cassation mais en 2010, la justice les déboute de nouveau.

 « Par le biais de nos avocats, on a essayé de rendre responsable le propriétaire. Mais en termes d’incendie, c’est le seul moment où on doit prouver la faute du propriétaire. » rembobine Thomas Vanet. En 2003, aux caméras de France 2, l’arboriculteur, aujourd’hui décédé, avait assuré :« on connaissait les bâtiments, on savait ce qu’il fallait protéger, ils paniquaient, ils n’étaient pas à la hauteur » en désignant les pompiers. Nicolas Sarkozy, Ministre de l’Intérieur en visite lui avait répondu : « mettez-vous à la place de quelqu’un qui a tout perdu... ça explique peut-être des propos un peu outranciers ». Thomas Vanet se souvient aujourd’hui d’un homme « en colère. Il a perdu son outil de production. Accuser les pompiers je ne trouve pas ça minable mais presque » regrette-t-il.

Au terme de longues procédures de justice l’arboriculteur sera en tout cas blanchi. « Ça a fait beaucoup de mal. Parce qu’il y a eu le tribunal, à chaque fois il fallait se remettre dedans. J’ai touché zéro euro d’indemnités. Des collègues ont eu du mal à passer le cap, surtout ceux qui ont été vraiment très blessés » poursuit le soldat du feu.

En parallèle, des procédures sont aussi intentées par les assurances. Si elles ont « très bien aidées par rapport aux dégâts que les gens avaient constatés » selon Claude Fleury c’est aussi en raison de la « pression médiatique qu’on a été assez bien remboursé... Enfin ce qu’il fallait ! Mais finalement pas à hauteur du préjudice. J’ai toujours des soucis dans ma maison [...] Mon assureur, trois mois après il a dit "on ne vous assure plus" » selon Marc.

Mais en 2008, les assureurs se retournent contre la commune de Saint-Romain-en-Jarez et les pompiers. Pour rentrer dans leurs frais, ils mettent en cause « la mauvaise gestion, en amont, des moyens de lutte contre l’incendie ».

Elles avaient dû indemniser à hauteur de 320 000 € le vingt-deux habitants sinistrés (Macif), et à hauteur de 950 000 € le propriétaire du hangar (Aviva). En 2013, trois rapports d’experts et plusieurs jugements concluent définitivement le dossier. Au terme de dix ans de procédures judiciaires, aucune responsabilité n’est définie.

Quel souvenir aujourd’hui ?

Au village, deux maisons entourées d’un jardin et encadrées par des serres ont pris la place du hangar. A Saint-Romain-en-Jarez, rien ne laisse vraiment transparaitre que le village a été détruit 20 ans plus tôt. Si on y regarde de plus près, il reste pourtant des traces dans certaines maisons « Ce sont des parquets qui se sont déplacés et maintenant ça grince comme dans une vieille maison. » explique Marc.

Deux maisons ont remplacées le hangar
Deux maisons ont remplacées le hangar
Crédit : Activ Radio

Mais surtout, personne n’a oublié. La plupart assure être passé à autre chose et ne pas conserver de traumatisme. Thomas Vanet, qui est toujours pompier, admet avoir avoir eu « peur » pendant environ deux ans durant les interventions. De son côté, Marc explique avoir mis « au moins cinq, dix ans (avant de s’en remettre). A chaque fois que je voyais un feu ou quelque chose, une appréhension ! [...] Je sais que ça a traumatisé mes enfants. Ma fille était sur le perron, ça l’a couchée au sol tellement c’était violent. Des fois on se demande s’il n’y a pas quelques problèmes liés à cela » conclut-il.


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