André Buffard : "Quand on est avocat on a la chance de vivre 1 000 vies"

Publié : 4 juillet 2025 à 5h08 par Amandine Rousset

André Buffard
André Buffard exerce encore à Saint-Étienne
Crédit : Activ Radio

L’avocat ligérien a assisté à près de 800 procès d’assises, au cours de ses plus de 50 ans au barreau. Toujours en exercice l’homme de droit s’est livré dans un livre paru le mois dernier. Coups de Maître revient sur les grandes affaires de Saint-Étienne, des procès plus atypiques. Nous l’avons reçu dans les locaux d’Activ Radio, pour revenir sur les moments forts de sa carrière et l’écriture de son livre.

Qu’est-ce qui vous a poussé à écrire ce livre ?

Depuis le début de ma carrière j’ai eu la chance d’avoir de très beaux dossiers, de très belles affaires. Je les mettais systématiquement de côté, en me disant que peut-être un jour, si j’avais le temps, j’écrirais un livre. Et plus le temps avance, plus le temps se comprime, donc il fallait que je le fasse. On m’a suggéré de passer à l’acte et d’écrire un livre, à la fois sur ce qu'a été ma carrière et à la fois sur les aventures que j’ai vécues.

Dans les premières pages, vous expliquez avoir voulu devenir avocat après avoir vu Emile Polak plaider au palais de justice de Montbrison, pourquoi ? Qu’avez-vous ressenti à ce moment-là ?

Emile Polak était un immense avocat. Depuis sa mort, je ne suis pas sûr qu’il ait été remplacé. C’était un homme avec un talent immense, que j’ai eu ensuite la chance de côtoyer par la suite. Lorsque je me suis retrouvé à cette audience, j'ai été scotché devant son talent, la force du verbe et l’émotion qu'il procurait.

J’ai beaucoup appris avec lui. Le métier d’avocat est un métier où l’on est confronté à beaucoup de confrères qui ont du talent et je crois que la première qualité quand on débute, c’est d’apprendre, écouter les autres. C’est comme ça qu’on progresse.

Après plus de 50 années au barreau et près de 800 procès d’assises, quel est celui qui vous a le plus marqué ? 

Il n’y a pas de procès, ni d’affaire, qui se démarque des autres. Quand on est avocat on a la chance de vivre 1 000 vies. Celles de ceux que l’on défend. A travers eux, on participe à des événements, des existences exceptionnelles. Dire qu’un procès m’a marqué plus qu’un autre, non. D'autant plus que j’ai eu la chance d’avoir des grandes affaires, même si chaque procès a son importance.

Vous dites "c’est spectaculaire un procès ! C’est une arène avec l’odeur du sang, des larmes et du sexe." C’est ce que vous ressentez avant d’entrer dans une salle d’audience ? L’impression d’être dans une arène ?

On parle surtout de la Cour d’assises et c’est évidemment là que sont jugés les faits les plus graves. Les moteurs qui animent les crimes sont un peu toujours les mêmes, le sexe, l’argent, le pouvoir. Et c’est vrai qu’une cour d’assises, quand on y entre, on a le sentiment d’entrer dans une arène. On est avec un accusé qui est seul, face à des gens qui vont décider de son sort. Tout peut arriver, ça peut durer des jours ou des semaines. C’est une ambiance particulière. C’est un endroit où on vit intensément le métier d’avocat.

 

Différencier l’homme de l’avocat

 

Pour écrire ce livre, vous avez dû vous plonger dans certaines affaires difficiles, certains doutes que vous avez eus. Comment vous l’avez vécu ?

Les doutes je les ai vécus et je les vis quotidiennement. Un bon avocat c’est un avocat qui doute. C’est d’ailleurs la différence avec le juge. Il faut accepter cette remise en question permanente.

Vous écrivez cette phrase : "Maître Buffard, arrive très bien à s’extraire d’André Buffard." Concrètement, ça veut dire quoi ?

Je suis un citoyen comme les autres, alors face à un évènement qui défraie la chronique, j’ai une réaction d’abord de quelqu’un de normal. Et puis, quand je deviens avocat, je change de posture, je suis là pour défendre. Ceci étant, naturellement, quand je défends le pire des criminels, André Buffard, mon double, me regarde en disant "c’est quand même quelque chose d’assez grave." Après, je dis aussi que pour être avocat il faut se distancier du client.

Pourtant vous dites aussi qu’on n’arrête pas d’être avocat quand on passe la porte de chez soi.

C’est un métier où on ne peut pas couper. Ca vous hante. Vous avez de nombreuses affaires à gérer en cours, souvent très compliquées psychologiquement. Vous ne pouvez pas rentrer chez vous en disant "c’est bon je pose ma tête dans le meuble de l’entrée et je vais passer à autre chose." C’est quelque chose à laquelle vous pensez tout le temps. Ce n’est ni facile à vivre pour vous, ni pour vos proches. C’est un métier qui est très lourd à porter.

 

C’est un métier où l’on connait plus de gifles que de grands triomphes

 

Vous avez eu envie d’arrêter ?

Non. J’éprouve toujours la passion de ce métier, de la fascination et de l’intérêt pour la nature humaine. Je suis très curieux de cela et cette passion fait que je n’ai jamais eu envie d’arrêter. Si je dois le faire c’est parce que physiquement je ne pourrai plus le faire. En tant qu’avocat on court aux 4 coins de France, une audience est nerveusement très dure.

"Gagner ou perdre, c’est relatif ", ce sont vos mots. Vous expliquez aussi un peu plus tard dans le livre que le plus important pour vous est de faire passer un message. Pourquoi remporter un procès est moins important que le message passé ?

L’avocat participe à l’œuvre de la justice mais encore une fois pour défendre, sans état d’âme. La vérité est le problème du juge, personnellement je suis là pour être le porte-parole de mon client. Quand je m’adresse aux jurés, je leur explique : "je vais essayer de vous dire avec nos mots à nous, ce que celui que je défends n’arrive pas à vous dire." Vous êtes la parole de celui que vous défendez. Vous êtes, dans un certain nombre d’affaires, le porte-parole d’un message, quelques fois politique. Je relaie la pensée de mon client.

Quand vous êtes avocat vous avez envie de gagner, de convaincre une cour. Effectivement, comme c’est vous le porte-parole, c’est aussi vous qui gagnez ou perdez. Si votre client est condamné très lourdement vous le vivez comme une défaite, vous n’avez pas été entendus, ni écoutés. Quand vous obtenez un acquittement vous vous dites que vous avez réussi à convaincre. Cette notion de victoire est importante, tout en étant relative. C’est un métier où l’on connait plus de gifles que de grands triomphes.

Vous avez aussi été impliqué dans l’affaire de la caisse noire, qui vous a valu beaucoup de critiques et de colère de la part des supporters des Verts. Mais finalement ce scandale vous l’avez fait pour éviter une liquidation judiciaire au club ?

Cette affaire a été un drame, y compris pour moi. Si je n’avais pas été impliqué dans l’affaire sans doute aurais-je pensé que ce qu’il se passait était trop dramatique pour le club et que ceux qui déclenchaient cette crise portaient d’abord atteinte à l’ASSE. La vérité c’est qu’un certain nombre d’administrateurs ont découvert des malversations, des problèmes graves au niveau de la gestion du club. Ils m’ont demandé d’être leur porte-parole et l’affaire a commencé à être médiatisée.

Si nous n’avions pas agi comme nous l'avons fait à l’époque, nous n’aurions pas pu négocier avec le parquet, avec l’administration fiscale. Donc même si de l’extérieur cela a été mal compris, je pense que ce nous avons fait a été indispensable pour sauver le club d’une liquidation.

Si vous aviez un enseignement à retenir de toutes ces années au barreau, quel serait-il ?

Le métier d’avocat est passionnant. Au début de ma carrière, le barreau était assez fermé. Quand j’ai voulu devenir avocat, ceux qui étaient en place m’ont dit "vous savez c’est un métier difficile, le pénal ne représente aucun intérêt". C’est un métier fantastique, varié, où on touche au pire comme au meilleur de l’Homme. En étant avocat, on apprend l’humilité parce que, confronté à ses semblables qui ont commis le pire des crimes on s’aperçoit qu’ils nous ressemblent. C’est un métier qui apprend évidemment beaucoup sur la nature humaine, qui est une richesse abyssale.