Dossier de la rédaction : l’eau, enjeu majeur de l’agriculture ligérienne

23 février 2023 à 7h56 par Nicolas Georgeault

Des agriculteurs ligériens
Des agriculteurs ligériens
Crédit : Chambre d'agriculture de la Loire

Alors que le salon de l’agriculture débute ce samedi à Paris, jusqu’au 5 mars, des enjeux majeurs secouent le monde de l’agriculture : réchauffement climatique, souveraineté alimentaire, dépenses énergétiques... Et au cœur de ces enjeux, une ressource en commun : l’eau.

L’été 2022, un tournant majeur

« Le monde de l’agriculture est inquiet » martèle Gérard Gallot, le président de la le président de la Fédération Départementale des Syndicats d'Exploitants Agricoles dans la Loire (FDSEA). S’il ne parle pas que de la ressource en eau, c’est bien le précieux liquide qui agite les débats ce vendredi 10 février, lors de l’Assemblée Générale des Jeunes Agriculteurs.

Pour bien comprendre, il faut remonter quelques mois plus tôt au cœur de l’été 2022. Le soleil est de plomb en ces mois de juin, juillet et août. Les productions flétrissent tandis que les arrêtés préfectoraux fleurissent. Et les deux sont intimement liés, en particulier en raison des limitations pour les agriculteurs d’arroser.

« Il faut la partager cette eau » admet volontiers Raymond Vial, le Président de la chambre d’agriculture aujourd’hui. « Mais par contre, pas la couper brutalement, ce qui avait été proposé au départ, au 14 juillet » tempête-t-il.

L'Assemblée Générale des Jeunes Agriculteurs 2023
L'Assemblée Générale des Jeunes Agriculteurs 2023
Crédit : Activ Radio

Le barrage de Grangent, élément central de l’enjeu ligérien de l’eau

Cet été, les agriculteurs ont demandé à la préfète de la Loire, Catherine Séguin à l’époque, d’utiliser l’eau stockée dans le barrage pour irriguer leurs cultures. La préfète refuse dans un premier temps, arguant du risque d’un « impact immédiat sur les activités autour du barrage » et rappelant le rôle premier du barrage, celui d’être une retenue hydroélectrique. En clair, produire de l’énergie.

Mais « suite à des échanges avec madame la préfète, elle a revu son positionnement. » raconte Raymond Vial. Catherine Séguin finit par céder : « lors de la réunion du lundi du comité d’irrigation elle a pris la décision de descendre l’eau à Grangent. » 

S’il est si important, c’est que le barrage alimente le canal du Forez dans lequel de nombreux agriculteurs puisent leur eau : « sur ma ferme j’irrigue via le canal du Forez avec un ASA, une association d’irriguant communal. C’est de l’eau qui vient de la Loire via Grangent. On irrigue nos cultures maïs, blé qui est transformé dans la Loire. Mon maïs sert à nourrir mes vaches pour les engraisser et ensuite elles sont transformées dans la Région. » explique par exemple Pierre-Henri Pomport, agriculteur sur la commune de Chalain-le-Comtal.

Champ de maïs de Hervé Bouard
Champ de maïs de Hervé Bouard
Crédit : Activ Radio

Pour arrêter d’envoyer les vaches à l’abattoir à cause du manque de fourrage, l’Etat déroge aux règles. « Nous sommes montés à six millions de mètres cubes (contre 3,5 normalement ndlr) et nous avons permis d’utiliser plus d’eau qu’initialement prévu. Ça a été fait au prix de six arrêtés successifs, pris semaine après semaine en juillet-août » explique Cécile Brenne, vice-présidente de la Direction Départementale des Territoires (DDT). 

Un nouvel arrêté-cadre sécheresse qui divise devrait voir le jour

Pour éviter à nouveau de devoir être en réaction aux fortes canicules, l’Etat veut mettre en place un arrêté-cadre sécheresse. Il doit remplacer l’actuel décret de concession dont la gestion est déléguée à EDF. Le but est de permettre de déstocker de l’eau du barrage de Grangent : « la réglementation qui est applicable ne permet aucun déstockage » actuellement précise Cécile Benne qui ajoute que l’Etat souhaite « donner un cadre juridique et sécuriser la profession agricole ».

Du côté du monde de l’agriculture, on admet sans détour qu’« un arrêté il y en aura un, il y en a déjà eu un » assure Raymond Vial, pour « éviter de vivre ce que l’on a vécu en 2022 avec les nombreux arrêtés que l’on a pu subir entre juillet et août notamment » corrobore Nicolas Lenoir, le président des Jeunes Agriculteurs de la Loire.

Mais c’est lorsque l’on évoque le contenu de cet arrêté que le bât blesse : « il n’est pas du tout en accord avec le bon sens et la réalité du terrain et va freiner la gestion de l’eau pour le futur » fustige Nicolas Lenoir avant d’ajouter : « tous les agriculteurs du département sont contres. » De son côté Raymond Vial regrette qu’« il y ait eu un projet écrit de leur main (la DDT) dans lequel on ne se retrouve pas, on ne retrouve pas nos débats. »

Un document de 50 pages proposant un retour d’expérience sur la gestion de l’eau cet été a été rédigé et distribué en interne. Mais pour le président de la chambre d’agriculture, les « groupes de travail de retour d’expérience sont très focalisé sur l’agriculture et l’irrigation. Mais dans la Loire l’irrigation ne représente que 6,5% de la surface agricole ! » 

Toutefois, c’est en particulier sur la côte du barrage et le débit de l’eau que les opinions divergent. La côte, c’est l’eau que retient le barrage. Et durant l’été 2022, la côte est descendu à 418,2, une grande première. Ce nouveau décret devrait cependant rendre plus flexible les possibilités de modifier les niveaux du barrage même s’il sera « impossible » de descendre à 417 précise Cécile Brenne qui explique que « d’autres usages seront compromis », notamment la production d’électricité.

Le barrage de Grangent
Le barrage de Grangent
Crédit : Saint-Etienne hors cadre

« On essaye de voir comment, on pourrait à côté du canal du Forez avoir de l’eau sur la rive droite. Les agriculteurs qui irriguent vont chercher l’eau dans la source. Pour éviter cela et protéger les captages, le monde agricole est prêt à laisser cette eau à condition qu’on leur amène de l’eau qui viendrait de la Loire qui serait pomper à Feurs sans augmenter le nombre d’hectares » propose Raymond Vial.

Cécile Brenne prône en tout cas le « dialogue », avec les différents acteurs du dossier : les agriculteurs, mais aussi le département de la Loire ou encore le SMIF (Syndicat Mixte d'Irrigation et de Mise en Valeur du Forez), le gestionnaire du canal du Forez, dont les retours se font attendre. « Le monde agricole sera toujours constructif mais il ne pourra pas tout laisser passer » conclut fermement Raymond Vial.

Les pistes de réflexion pour une meilleure gestion de l'eau

Alors que le manque d’eau inquiète et que les nappes phréatiques s’assèchent avec une année 2022, qui s’est achevé sur un déficit record de pluie de l’ordre de 25% en France, les agriculteurs réfléchissent à des moyens pour améliorer la gestion de l’eau.

Grâce à l’amélioration de la technologie, le département a pourtant utilisé moins d’eau que lors de la canicule de 2003. « Beaucoup de réseaux ont été mis en pression et on a supprimé des rigoles (en) pleine air où il y avait un petit peu de gaspillage d’eau explique Pierre-Henri Pomport. On a aussi du matériel plus performant pour apporter vraiment la bonne dose (d’eau) sur les cultures. »

 Insuffisant tout de même pour irriguer correctement les plantations cet été. Les Jeunes Agriculteurs ont établi un rapport qu’ils ont présenté au cours de leur Assemblée Générale. « Les solutions c’est de stocker plus d’eau » explique Pierre-Henri Pomport, qui a participé à la rédaction du rapport. Avoir ces réserves est nécessaire pour les périodes de sécheresse. Car, s’il pleut autant qu’il y a vingt-cinq ans, les pluies « sont de moins en moins efficaces » en raison du réchauffement climatique.

Parmi les solutions la retenue collinaire a été évoquée. Le procédé consiste à récupérer et stocker l’eau, issue des pluies ou des fontes de neige par exemple, qui ruisselle sur le sol. Ces gros bassins vont ensuite se remplir d’eau pendant l’hiver, avant d’être utilisé l’été. Pour le stockage, la récupération de l’eau de pluie qui s’écoule du toit des habitations est également envisagée.

Une retenue collinaire de Février 2018 dans la Loire
Une retenue collinaire de Février 2018 dans la Loire
Crédit : Chambre d'agriculture de la Loire

Des réseaux d’irrigations collectifs ou une méthode qui consiste à recycler les eaux blanches, utiliser pour laver les installations de traite des vaches, ont aussi été proposées. Le but est ensuite d’utiliser l’eau de la manière la plus efficiente possible « via des sondes (qui permettent de fournir des éléments de mesures ndlr) et apporter de l’eau au bon moment avec du matériel performant et d’adapter les cultures aux changements climatiques » détaille Pierre-Henri Pomport.

Le travail des Jeunes Agriculteurs a été salué unanimement tandis que les solutions vont continuer à être débattu dans le but « d’abreuver nos animaux, nos maïs... » rappelle Nicolas Lenoir. Et surtout, au bout de la chaîne, de pouvoir « nourrir la population » conclue-t-il.


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